15 juillet 2021#13


Les oiseaux sont des hommes comme les autres

Bonjour,
Et merci pour votre soutien grandissant depuis le lancement de L’AntiÉditorial. Ça y est, l’été s’installe, les oiseaux chantent. Et ils chantent différemment depuis le confinement. Une réalité qui m’a poussé à m’interroger sur leur rapport à l’humain. Et c’est, pour ainsi dire, surprenant…  



Il y a un an, pendant le premier confinement, un curieux évènement s’est produit. Dans la baie de San Francisco, la pollution sonore des voitures est redescendue au plus bas depuis au moins un demi-siècle. Sur le célèbre pont du Golden Gate, il n’était jamais passé si peu de véhicules depuis… 1954 ! Et il faut dire que le bruant à couronne blanche en a bien profité.  

Cet oiseau, assez courant dans cette partie de la Californie, a changé sa façon de chanter. Très vite, il a rempli l’espace acoustique laissé libre par le silence. C’est ce que montre une équipe de chercheurs menés par Elizabeth Derryberry, du département d’écologie et de biologie de l’évolution à l’université du Tennessee. D’habitude, la fréquence des bruits de circulation automobile se situe dans une gamme qui interfère avec les meilleures performances des bruants. Mais pendant le confinement, selon cette étude publiée il y a quelques mois dans la revue Science, les bruants ont produit des chants plus performants, à des amplitudes plus faibles. Ces passereaux lâchaient des notes à la fois moins fortes et moins aiguës. Et tout en baissant le son de quatre décibels, ils se faisaient entendre deux fois plus loin.

Des changements de même nature ont été constatés sur les baleines. Ces mammifères épris de discrétion sont constamment dérangés par le trafic maritime, les sonars et toutes sortes d’interactions avec les humains, de la chasse au tourisme. Des chercheurs américains ont estimé que les baleines étaient moins stressées, ce qui pourrait favoriser leur reproduction.

Cela prouve que nous exerçons une pression auditive sur les animaux qui dépendent du son pour leur survie et leur reproduction. Mais cela montre aussi autre chose. Alors qu’en principe, le comportement des animaux évolue très lentement, dans des conditions nouvelles, et favorables, il peut changer rapidement. Les chercheurs parlent de « résilience aux pressions anthropogéniques de longue date ». Même si l’homme l’a profondément perturbée, une espèce animale retrouve son mode de vie une fois que nous lui fichons la paix. Les scientifiques ont même donné un nom à ce phénomène, c’est « l’anthropause ». En somme, l’anthropause pourrait être le correctif de l’anthropocène, cette ère où le comportement de l’être humain modifie le climat et porte atteinte à la biodiversité.

Mais ça marche dans les deux sens

Évidemment, ce n’est pas toujours aussi joyeux. Car le chant des oiseaux n’est pas seulement naturel, il est aussi culturel. Et si la culture décline, alors l’espèce périclite encore plus vite. D’autres chercheurs viennent d’en apporter une preuve accablante, en étudiant une espèce gravement menacée. Ça se passe cette fois dans le sud-est de l’Australie. Jusqu’au milieu du XXᵉ siècle, les méliphages régents se déplaçaient sur des centaines de kilomètres, en bandes de plusieurs centaines d’individus. Mais la destruction de l’écosystème de ces passereaux mangeurs de miel a entraîné le déclin de leur population. Elle est estimée aujourd’hui à 400 oiseaux maximum, éparpillés sur une aire de 300 000 km².

Chez les méliphages régents, seuls les mâles chantent un chant complet. Problème : les fils n’apprennent pas les chants de leur père. Car devant leurs enfants, les papas préfèrent se taire. Pour découvrir les chants appropriés à leur espèce, et pour prendre l’accent régional, les jeunes ont donc besoin de rencontrer des professeurs plus âgés. Des tuteurs, en quelque sorte. Les chercheurs australiens ont découvert que 27 % des mâles sauvages produisent désormais des sons qui diffèrent de la norme culturelle régionale. 12 %, ceux qui sont présents dans des zones où la densité de population est particulièrement faible, se trompent carrément. Ils chantent des chants d’autres espèces ! Or ces mâles chantant de travers sont moins susceptibles de s’accoupler ou de nicher que les mâles qui suivent la norme culturelle.

Quant aux oiseaux élevés en captivité, leur petite musique diffère aussi de celle de leurs frères sauvages. Ce qui pose problème. Car en cas de réintroduction dans la nature, ils auront du mal à séduire les femelles. Plus de professeurs de chant, plus de bébés ! Qui ferme un conservatoire, ferme une maternité !

« Ces résultats soulignent l’importance de prendre en compte la diversité culturelle des animaux dans les études de conservation. » C’est en tout cas l’avis de Kristina Paxton, une spécialiste du chant des oiseaux forestiers, qui fait le lien avec les cultures humaines menacées. « Chez de nombreuses espèces, comme les humains, la perte d’identité culturelle peut avoir des effets considérables sur leur capacité à persister. » En somme, les oiseaux sont des humains comme les autres. Ils ne vivent pas seulement dans un écosystème. Ils ne sont pas seulement lâchés dans la nature. Ils ont une culture. Et si cette culture n’est plus transmise, s’ils perdent leur identité, leur espèce se trouve en danger. Sans références communes, la société est en péril.

Les oiseaux et nous

En un mot, les oiseaux ne sont pas seulement dans la nature. D’une part, ils ont une culture. Et d’autre part, cette culture se trouve désormais liée à la nôtre. Et la réciproque est vraie. Notre culture s’avère plus étroitement liée à celle des oiseaux que nous ne le pensons. Un très joli livre vient de paraître sur ce sujet en Grande-Bretagne, Birdsong in a Time of Silence, de Steven Lovatt, un amateur très éclairé. Ce « chant d’oiseaux en un temps de silence » (Éd. Particular) n’est pas encore traduit en français, mais je l’ai lu pour vous.

Avec le confinement, souligne l’auteur, de nombreuses personnes bloquées chez elles ont ouvert leurs fenêtres. Elles ont alors découvert les chants les plus anciens au monde, puisqu’ils n’ont guère changé depuis l’âge de pierre. Quel chant ? Celui des oiseaux ! Bien sûr, on peut étudier scientifiquement ce que signifient ces cris et ces mélodies pour les oiseaux eux-mêmes. Mais il faudrait aussi comprendre ce qu’ils veulent dire pour nous. Chaque chant d’oiseau a une signification fonctionnelle, pour ses congénères. Soit. Mais il a aussi une fonction émotionnelle pour nous, les humains. Il crée une atmosphère sonore que nous ressentons. En d’autres termes, quand les oiseaux chantent pour eux, ils chantent pour vous. Ils vous montrent, par exemple, que vous n’êtes pas seuls au monde.

Prenez un oiseau aussi banal que le merle, auquel l’auteur consacre de belles pages. Au XVIᵉ siècle, le naturaliste français Pierre Belon affirmait déjà que « le merle engendre de bonnes humeurs ». Mais soyons honnêtes, ce qu’il voulait dire par là, ce n’est pas que son chant nous rend l’âme joyeuse. Mais que sa chair est très bonne à manger et très digeste. La culture du merle, c’est aussi le pâté. En cela aussi, elle est très humaine…



Lovatt, Steven. (2021). Birdsong in a Time of Silence. Particular.

Étude publiée dans la revue Science (2021)

Article de recherche publié dans The Royal Society (2021)

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Crédits photos : © Stéphane Grangier, © Hans Veth