20 mai 2021#5


C’est quoi être de droite ?

Bonjour,
La folle aventure de L’AntiÉditorial continue. N’hésitez pas à venir nous rejoindre, si ce n’est pas déjà fait, en vous inscrivant à la newsletter. En attendant, je vous propose cette semaine de partir à la recherche de la droite, portée disparue ces dernières années…



Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un sujet mystérieux, presque inexplicable. Une sorte d’énigme policière que je résumerai ainsi en baissant un peu la voix : où est passée la droite ? Où est-elle donc retenue prisonnière ? Qu’est-ce qui peut la réveiller de son coma ? Je m’explique. Une récente note de la Fondation pour l’innovation politique, le think tank libéral, annonce « la conversion des Européens aux valeurs de droite ». Parmi beaucoup d’autres données, retenons un chiffre simple, qui est rappelé dans cette note : alors que seulement 24 % des Français se situent à gauche, 38 % se disent de droite. Le reste des sondés ne sait pas, ou alors se positionne au centre. Précision : au cours des cinq dernières années, la proportion de Français se situant à droite a augmenté d’enquête en enquête. Lentement, mais sûrement.

Et pourtant, électoralement parlant, c’est le contraire. La droite semble en perte de vitesse. En Allemagne, où Angela Merkel s’apprête à quitter le pouvoir à l’automne après trois mandats, c’est une jeune écologiste, Annalena Baerbock, que beaucoup voient désormais lui succéder à la chancellerie. Les Grünen sont passés en tête dans plusieurs sondages successifs. Et en France, Les Républicains peinent à se faire une place. D’un côté, La République en marche leur chaparde des élus. De l’autre, le Rassemblement national leur soustrait des électeurs. Peu d’experts croient d’ailleurs que la droite française, quel que soit son candidat, puisse accéder au second tour de l’élection présidentielle.

Que dit la note ?

Plongeons-nous dans la note de la Fondapol. Elle ne porte pas sur tous les pays d’Europe, mais sur quatre d’entre eux, importants et proches : la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Elle montre que la sensibilité de droite y est aujourd’hui nettement dominante, et ce dans toutes les catégories professionnelles, y compris donc parmi les ouvriers et les employés.

Cette adhésion aux idées de droite, l’étude de la Fondapol a choisi de la vérifier par quelques questions test, parmi lesquelles : « Est-ce que vous trouvez qu’il y a trop d’immigrés en France ? » Ou « est-ce que vous pensez que l’islam représente une menace pour la République ? » Admettons, mais ces questions permettent-elles de mesurer l’adhésion aux idées de droite, ou plutôt la proximité avec les thèses du Rassemblement national ? Ce n’est pas évident. C’est d’ailleurs pourquoi la Fondapol complète par des questions plus classiques sur la politique économique ou le rôle de l’État.

Ce n’est pas évident non plus quand on lit les déclarations du tout nouveau président du mouvement des Jeunes Républicains, Guilhem Carayon. « Je me sens républicain et patriote », professe-t-il. « Je crois aux valeurs de la République qui est laïque, indivisible, démocratique et sociale. » Mais est-ce là une définition de la droite, ou quelque chose qui ressemble davantage, disons, au préambule de la Constitution, à un texte que l’on pourrait placarder dans les écoles ? Est-il contre l’écologie, peut-être ? Pas vraiment, il se dit pour « une écologie positive ancrée dans nos territoires ». Et même, « c’est une valeur intrinsèquement de droite », croit-il nécessaire d’ajouter. Guilhem Carayon a pourtant été élu sur une ligne plus droitière que celle de son concurrent. Le point saillant, à mon avis, c’est plutôt cette affirmation d’esprit sarkozyste : « Je me sens très attaché à la question de l’identité nationale », glisse-t-il.

L’appartenance, un mot-clé

Pour en avoir le cœur net, L’AntiÉditorial est allé consulter une autre étude comparative. Elle vient d’être réalisée. Le Pew Research Center, une référence internationale en matière d’opinion publique, a posé une batterie de onze questions à des Français, des Britanniques, des Allemands et des Américains. Il en ressort que le fossé idéologique entre la gauche et la droite est considérablement plus important aux États-Unis qu’en France. Cela ne surprendra sans doute pas grand monde. Clairement, cela limite les marges de manœuvre idéologiques de la droite française.

Mais l’écart entre gauche et droite n’a pas du tout disparu dans les trois pays européens. En particulier sur ce que les experts de Pew appellent « l’appartenance », un mot qui me semble en effet capital. Que faut-il pour vraiment être Allemand ou Français ? Est-ce que votre pays se porterait mieux dans le futur s’il maintenait ses traditions et son mode de vie ? Le fait d’être chrétien, de parler la langue nationale, de partager les coutumes et les traditions ou d’être né dans le pays est plus important pour les personnes situées à la droite de l’axe idéologique que pour celles situées à sa gauche. Avec toutes sortes de nuances, évidemment, selon les pays et les sujets.

La méthode espagnole

La droite française pourrait peut-être lorgner du côté d’un pays qui n’est pas étudié par la Fondation pour l’innovation politique ni par l’étude de Pew, mais où s’est produit un phénomène spectaculaire. La présidente de la région de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, vient en effet de dissoudre la majorité qu’elle formait avec les centristes et de provoquer une élection anticipée. Le résultat n’a pas fait un pli. La gauche, divisée, n’est pas parvenue à la déstabiliser. L’extrême gauche a explosé, le Parti socialiste s’est effondré, le centre n’a plus aucun élu, et l’extrême droite est réduite au rôle de supplétif. Quant à la candidate du Parti populaire, elle double son score, et fait route pour la scène nationale.

Quelles sont donc ses idées ? Il y a, d’abord, ce que j’appellerais une dose de « trumpisme pandémique ». Pour le dire simplement, pendant que les cafés et les restaurants parisiens gardaient leur rideau baissé pour cause de Covid, les tables et les terrasses madrilènes faisaient des affaires. Pendant que le gouvernement prenait des mesures sanitaires, Isabel Díaz Ayuso prônait la liberté d’entreprendre. Mais ça, ce sont les circonstances. Je ne crois pas que ce soit l’essentiel.

J’ai regardé avec une grande attention les deux interviews télévisées qui l’ont propulsée sur le devant de la scène médiatique en 2018. Et le mot qui me semble le plus explicatif, c’est « décomplexée ». En quelques minutes, la jeune porte-parole du Parti populaire coche toutes les cases, les unes après les autres : l’unité de l’Espagne, la corrida, la cuisine andalouse, le catholicisme, la fierté d’être Espagnols, le drapeau… Son programme, c’est en fait l’identité nationale, la fierté d’appartenir à son pays, l’attachement à ses traditions. C’est le refus de s’excuser pour le passé. Le refus de se justifier.

Conservatisme 

Dans un récent entretien, Guillaume Tabard donnait son point de vue. Cet éditorialiste du Figaro est l’un des meilleurs observateurs de la vie politique en général, et des arcanes de la droite en particulier. On lui doit un livre qui est au cœur de notre sujet, La Malédiction de la droite. Pour lui, la recette du retour de la droite en France tient en un mot : conservatisme. Il s’agit, dit-il, de « conserver certains fondamentaux de l’idée française face aux craintes de la mondialisation, ravivées par la crise sanitaire, et face aux menaces de l’islamisme ». Il propose de « puiser dans la culture et l’Histoire de quoi résister aux vents de la cancel culture venue des États-Unis ». Il conseille enfin de « promouvoir une politique familiale et nataliste ambitieuse », qui demeure un tabou en France.

Le conservatisme appliqué à l’identité nationale, à la culture et à la famille. Voilà, dit-il, « un projet qui pourrait unifier la droite ». Problème : en France, la droite ne s’est jamais appelée « parti conservateur ». Le mot reste d’emploi risqué, le « progrès » étant jugé plus attractif. Sur cette ligne d’ailleurs, la candidature de François-Xavier Bellamy aux Européennes avait obtenu des résultats très faibles – sur fond de règlements de comptes et de coups bas, il est vrai. La différence avec l’Espagne, c’est peut-être qu’Isabel Díaz Ayuso s’exprime sur un ton beaucoup plus agressif, plus conquérant si l’on veut. Elle ne défend pas le conservatisme bourgeois, elle attaque frontalement les valeurs des élites dominantes, féminisme compris. Elle pilonne systématiquement les idées progressistes. Au nom de l’Espagne « normale », elle engage, en somme, une guerre culturelle.



Note de la Fondation pour l’innovation politique (2021)

Article du journal Le Point

Étude réalisée par le Pew Research Center (2021)

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Crédits photos : © Stéphane Grangier, © Dani Pozo / PP Comunidad de Madrid