28 octobre 2021#22
L’assimilation, une idée selon Zemmour ?
As-si-mi-la-tion ! De plateaux télé en précampagne électorale, Éric Zemmour martèle sa conviction. Les personnes d’origine étrangère doivent se fondre complètement dans la culture française. Mais d’où vient cette idée ? A-t-elle toujours été de droite ? C’est quoi, au fond, l’assimilation ?
De quoi l’assimilation est-elle le prénom ?
Le premier critère de l’assimilation, ce serait le prénom. Éric Zemmour a reproché à Rachida Dati d’avoir appelé sa fille Zohra. À la naissance du bébé, Dati était ministre de la Justice de Sarkozy. Elle aurait dû donner l’exemple, c’est-à-dire à la fois renoncer à sa double nationalité marocaine et donner un prénom français à sa fille, selon le polémiste. De même, en 2018, dans une émission de divertissement, Les Terriens du dimanche, Éric Zemmour suggère à la chroniqueuse Hapsatou Sy de se faire appeler « Corinne ». L’ambiance sur le plateau semble détendue. Mais la jeune femme se sent offensée par des propos coupés au montage et porte plainte. À ce jour, le différend n’a pas été tranché par la justice.
Raison de plus pour nous en tenir à ce qui intéresse L’AntiÉditorial : les idées, la profondeur de champ. Citons Zemmour sur le fond : « Depuis une loi de Bonaparte qui a malheureusement été abolie en 1993 par les socialistes, on doit donner des prénoms dans ce qu’on appelle le calendrier, c’est-à-dire les saints chrétiens. » Autrement dit, ce n’est peut-être plus une obligation légale, mais c’est plus que jamais un impératif civique.
La loi du 11 germinal an XI – le 1er avril 1803 – encadrait bel et bien les prénoms, sans doute dans un souci d’ordre plutôt que d’assimilation. Après la créativité de la période révolutionnaire, Bonaparte siffle la fin de la récréation : « Les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne, pourront seuls être reçus, comme prénoms sur les registres de l’état civil destinés à constater la naissance des enfants ; et il est interdit aux officiels publics d’en admettre aucun autre dans leurs actes. » Vous aurez noté que Bonaparte parle de « différents calendriers », au pluriel, et de « personnages connus de l’histoire ancienne », pas de « saints chrétiens ». Germinal, par exemple, est un prénom tiré du calendrier révolutionnaire. Olympe, un prénom tiré de l’histoire ancienne.
Le modèle Clermont-Tonnerre
Mais au fond, peu importe. La question des prénoms sert de carburant pour imposer une problématique plus vaste. Dans son débat avec Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour l’explique d’ailleurs clairement : « L’assimilation, ça veut dire faire sienne l’histoire de France, la culture française, les mœurs françaises. » Alors que les identités individuelles et culturelles auraient pris le dessus sur l’identité nationale, il milite pour le retour d’une « France une et indivisible ». La crise du modèle assimilationniste serait au cœur du « déclin français ». « Celui qui n’a pas connu la France d’avant le regroupement familial ne sait pas ce qu’est le bonheur d’une assimilation réussie », écrit-il dans son livre La France n’a pas dit son dernier mot. Contre cela, il faudrait notamment bannir le droit du sol, qui permet d’obtenir la nationalité française par la naissance, quand on est né en France de parents étrangers.
Dans son débat avec Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour rappelle qu’il s’agit d’un « vieux mot républicain ». Ce n’est pas faux. Il est d’ailleurs marqué par le progressisme et l’idéalisme de son temps, et aussi par l’idée d’une supériorité culturelle, civilisationnelle même.
C’est cette logique qui prévalait dans l’administration coloniale lorsque les « sujets des colonies » (les habitants locaux) voulaient accéder au statut de citoyen français. La sociologue Laure Blévis a étudié les dossiers de demande de naturalisation des « sujets français » d’Algérie. Elle note que les candidats sélectionnés devaient être monogames, méritants et loyaux politiquement. Ils devaient parler français et fréquenter les Français. Il était bien vu qu’ils soient convertis au catholicisme.
L’assimilation est la condition de la citoyenneté, pas sa conséquence. Elle est un devoir, pas un droit. Elle est accordée aux individus, pas aux familles ou aux communautés. On peut citer le fameux mot du comte de Clermont-Tonnerre en 1789 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus. » Élément fondamental : le député monarchiste plaidait ainsi pour l’octroi de la citoyenneté française aux juifs, contre ceux qui voulaient la leur refuser.
Citons encore Clermont-Tonnerre, parlant des juifs : « Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens. Mais, me dira-t-on, ils ne veulent pas l’être. Eh bien ! S’ils veulent ne l’être pas, qu’ils le disent, et alors, qu’on les bannisse. Il répugne qu’il y ait dans l’État une société de non-citoyens et une nation dans la nation. »
Mais plus que la Révolution ou le Consulat, c’est la Troisième République qui est vue comme l’âge d’or de l’assimilation française. Le modèle est très efficace, mais il se fait par la force, et parce que l’État est tout-puissant. Le service militaire et l’école publique, laïque et obligatoire deviennent des vecteurs déterminants, y compris contre les petits Bretons que l’on contraint à renoncer à leur langue maternelle, sans quoi ils ne sont pas vraiment Français.
Pour Fernand Braudel, « l’assimilation a été la clé d’une intégration sans douleur de ces immigrés qui se sont vite confondus dans les tâches et les replis de notre civilisation tandis que leurs cultures d’origine ont apporté une nuance de plus à notre culture complexe. » Les historiens contemporains sont parfois moins enthousiastes. Gérard Noiriel raconte toutefois une période plus chaotique qu’on ne la présente parfois. Les mineurs polonais sont parfois jugés inassimilables. Citons aussi les émeutes anti-italiennes de Marseille, en 1881, après que des Italiens auraient sifflé des soldats qui chantaient la Marseillaise.
Que dit la loi ?
Mais l’assimilation, ce n’est pas seulement une idée, une possibilité, une option à discuter, un truc du passé un peu fantasmé. En théorie au moins, c’est la loi. Ouvrons le Code civil, lisons l’article 21-24 : « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. » La République fait donc de l’assimilation une condition nécessaire pour obtenir la nationalité française.
Fait significatif, cet article du Code civil a été régulièrement précisé, renforcé. Certains diront peut-être qu’on l’a alourdi. En 1993, l’unique critère était la maîtrise de « la langue française ». Dix ans plus tard, en 2003, on y ajoute la connaissance « des droits et devoirs conférés par la nationalité française. »
La loi a été encore renforcée en 2011. On y a ajouté un nouvel alinéa. « À l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’État, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française. » Le mot-clé, ici, c’est « contrôle ». C’est bien le signe que l’assimilation ne va pas de soi. La personne qui demande la nationalité française est désormais inspectée, pour ne pas dire suspectée, avant d’être respectée.
L’assimilation dans l’Histoire
Pour Patrick Simon, sociodémographe à l’Institut national d’études démographiques (INED), l’assimilation, c’est comme la digestion : « Le corps social et les institutions sont censés digérer les nouveaux venus et les transformer en Français. Le but est qu’ils ne soient plus repérables dans la structure sociale, que leurs spécificités culturelles, religieuses ou sociales disparaissent afin qu’ils deviennent semblables en tout point aux Français. »
Or aujourd’hui, la digestion semble difficile. Le concept d’assimilation, promu d’abord par la gauche républicaine, a fait consensus jusqu’aux mouvements de décolonisation. Mais le concept d’intégration l’a remplacé peu à peu. Moins radicale, l’intégration ne visait plus à supprimer les différences, mais à les intégrer dans un projet de société commun. Les immigrés doivent faire un pas vers les Français, et la société française, un pas vers eux. Le multiculturalisme est en vogue. Les différences sont enrichissantes. C’est la fameuse France « black-blanc-beur » de la Coupe du monde de football, celle de 1998.
Or depuis le début des années 2000, on assiste à un retour du concept d’assimilation, notamment via des controverses sur l’islam et sur l’immigration. Nicolas Sarkozy, pendant la campagne électorale présidentielle en 2016, disait que l’assimilation n’était « pas une possibilité offerte à ceux qui choisissent la France, elle doit être une condition à tout séjour de longue durée et à toute naturalisation ». Et pour Manuel Valls, né en Espagne et naturalisé français, « on n’est pas français par le sang, mais par l’assimilation ». Pour être français, il ne suffit pas d’être né français, il faut vouloir l’être.
Assimilation contre intégration : les deux modèles successifs sont désormais en compétition. La campagne d’Éric Zemmour, après celles de Nicolas Sarkozy, semble indiquer que le modèle assimilationniste reprend idéologiquement le dessus. Ce débat d’idées sera au cœur de la présidentielle.
Article publié par la chaîne i24NEWS. (2021).
Article publié par le journal Le Monde. (2016).
Article publié sur le portail web Cairn. (2003).