10 février 2022#34


Le pécressisme existe, nous l’avons trouvé…



Valérie Pécresse patine. La candidate de la droite ne parvient pas à faire suffisamment la différence pour s’imposer au second tour. Peut-être parce que la présidentielle, c’est la cristallisation de quelques idées, de quelques lignes de force. Ce qui manque à Pécresse, c’est le « pécressisme ». Or le pécressisme, pour l’instant, personne ne l’a rencontré. Mais L’AntiÉditorial s’est donné du mal. Et nous avons peut-être trouvé la clé…

Le pécressisme, ça n’existe pas  

« Pécressisme » ? « Le terme même n’existe pas », tranche Sophie Coignard. Du bout des lèvres, la chroniqueuse du Point ajoute : « Ou pas encore. » Sur le dictionnaire libre de Wikipédia, on trouve bien les pécressistes, celles et ceux qui soutiennent la candidate. Mais le pécressisme, non. Inconnu des lexicologues comme des politologues ! Il n’y a pas de doute, pourtant, Valérie Pécresse existe. Ses partisans aussi existent, puisqu’elle a gagné la primaire de la droite. Mais, comme on dit familièrement, ça n’imprime pas. Son style n’a pas encore pris corps. Et moins encore corps du roi ou de la reine, du monarque républicain.

Comme le note Coignard, Valérie Pécresse offre pour l’instant « une sorte de motion de synthèse » entre les grands leaders récents de la droite. Combinez le chiraquisme, le sarkozysme et le fillonnisme, vous aurez un véhicule politique d’allure solide, au look classique. Mais vous n’aurez toujours pas ce moteur qui serait, justement, le pécressisme. De même, cherchez le juste milieu entre le zemmourisme et le macronisme… ça ne fera toujours pas le pécressisme.

Pourquoi c’est important ?

Or, cela pose problème. Pourquoi ? Parce que nous sommes en France. Nous sommes ce peuple qui aime ajouter un « isme » à la fin des noms. Parce que ça fait sérieux. Le monarque républicain se met à exister. Ou le croquemitaine de l’opposition commence à faire peur. Dans la mythologie de la Ve République, un président, ou une présidente, ce n’est pas un collectif, c’est une incarnation, une cristallisation. C’est un corps et un corpus. Selon Brice Teinturier, de l’institut Ipsos, cela passe par « quelques dimensions-clés ».

Si L’AntiÉditorial vous dit mélenchonisme, macronisme ou lepénisme, vous ne serez pas forcément d’accord sur leur définition. Vous aimerez ou vous détesterez. Mais vous saurez immédiatement de quoi il s’agit. Si vous avez plus de quarante ans et si L’AntiÉditorial vous affirme, « j’aime la tête de veau » ou vous parle de « la fracture sociale », vous saurez. Ça, c’est le chiraquisme. « Je suis de gauche et en même temps je suis de droite » : ça, c’est le macronisme.

Formuler un catalogue de propositions, tous les candidats le font. Les petits, les grands, les moyens. Il y a eu, il y a 40 ans, les fameuses « 110 propositions » du candidat Mitterrand. Mais additionner des idées, ou même les multiplier, ça ne fait pas un « isme ». Et surtout, ça ne vous amène jamais à l’Élysée. Au contraire : ça complique, ça peut éparpiller, et pour finir ça risque de dissoudre. On aime ou pas le gaullisme, le mitterrandisme, le sarkozysme… On peut être d’accord ou pas sur leur définition… Mais au moins, il y a une signature. Par exemple, « travailler plus pour gagner plus » ou « mon ennemie, c’est la finance ».

Une piste possible : la sécurité

Après enquête, L’AntiÉditorial a peut-être trouvé ce qui pourrait constituer le noyau dur du pécressisme. Cela tourne autour de la sécurité. Un thème de droite assez classique, mais toujours d’actualité et toujours populaire…  La candidate LR a trouvé un concept, le droit à la sécurité. Elle veut l’inscrire dans la Constitution, comme d’autres l’écologie. C’est dans son projet présidentiel.

Tout le monde en est d’accord, la sécurité est une mission essentielle de l’État. En 1995, en 2001 ou encore en 2003, le législateur a même reconnu ce « droit à la sécurité ». Mais est-ce pour autant un droit fondamental ? Comme le rappelle Driss Aït Youssef dans The Conversation, cela n’est pas suffisant pour l’affirmer. Précisément parce qu’un droit fondamental est inscrit dans la Constitution, pas seulement dans la loi. Il a une valeur supérieure aux autres normes.

Ainsi, la liberté est un droit fondamental ; la sécurité, non. Par exemple, les parents du caporal-chef Abel Chennouf, assassiné à Montauban par Mohammed Merah en 2012, ont poursuivi l’État. Ils étaient indignés par les défaillances des services antiterroristes, qui auraient dû prévenir cet attentat. Mais le Conseil d’État a refusé de les suivre. Les juges ont estimé que la faute lourde n’était pas établie.

En même temps, il y a une tendance de fond. La sécurité fait partie des moyens que l’État doit mettre au service des principes constitutionnels. C’est ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel dans une décision assez technique de 2010. Plus concret : en 2020, la préfecture des Bouches-du-Rhône a été poursuivie en justice par un collectif de citoyens qui lui reprochaient son inaction face aux rodéos urbains. Elle a été condamnée à verser des dommages et intérêts.

Si la sécurité devenait un droit constitutionnel, qu’est-ce que cela changerait ? Une pression forte serait mise sur l’État. En particulier sur la police. Elle serait obligée de rendre des comptes sur ses résultats auprès des justiciables. Il n’est pas certain que cela soit l’intention de Valérie Pécresse… Il n’est pas non plus certain que ce soit très réaliste.

Mikael Corre, qui a publié dans l’hebdo de La Croix un formidable récit de son immersion au commissariat de Roubaix, le rappelle très franchement : « La police n’est pas là pour faire baisser la délinquance mais pour la contenir. En la sélectionnant d’abord, puis en traitant ensuite ce qu’il est possible de traiter. »

Nous rêvons « d’une société sans infractions, sans crimes, que la police pourrait aider par son action à faire advenir. » Mais pour Mikael Corre, cela relève du « mythe collectif ». Évidemment, ce qu’un grand reporter peut dire, un grand politique aura du mal à l’assumer publiquement…

C’est donc un vrai sujet, autour duquel on tourne depuis des années. Mais en même temps, ça peut rester une idée abstraite, un débat d’experts. La hiérarchie des normes juridiques, ça passionne les professeurs de droit, mais ça fait rarement une élection. Valérie Pécresse a suffisamment d’expérience pour le savoir. C’est pourquoi elle accompagne cette idée un peu lointaine d’un slogan choc, en forme de projet de proximité : « Rétablir l’ordre dans la rue. »

Ensuite, elle décline une batterie de mesures concrètes. Pour la justice, 16 000 recrutements. 50 % de budget en plus pour les tribunaux en 5 ans, 1,8 milliard pour les locaux et le matériel. Pour l’équipement des forces de l’ordre, 5 milliards d’euros. Les affaires de violences intrafamiliales seraient jugées en 15 jours. Les violences et les délits du quotidien, en moins de 6 mois.

Elle sait aussi que pour que le pécressisme ne se laisse pas marginaliser par le macronisme, elle doit aussi recréer du clivage gauche-droite. Alors que la gauche propose régulièrement de donner le droit de vote aux jeunes de 16 ans, c’est la majorité pénale qu’elle veut abaisser à cet âge. Selon ce principe, les délinquants sont plus à même de répondre de leurs actes que les citoyens. Ils sont plus mûrs.

« Droit à la sécurité », « rétablir l’ordre dans la rue ». On a là un début de matière. Il ne manque en somme qu’un élément déclencheur. Un de ces faits divers qui vous permettent de dominer la conversation. Une polémique qui rebondirait sur les réseaux sociaux. Une image qui frapperait, une vidéo virale. Car le « isme », on avait oublié de le dire, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est aussi une question de chance, de circonstances. En un mot, de médiatisation.



Article publié dans le magazine Le Point. (2022).

Article publié dans le journal Le Monde. (2022).

Extrait du site de Valérie Pécresse.

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Crédits photos : © Stéphane Grangier © M. ANISSET-PHOTOPQR-LE MIDI LIBRE-MAXPPP. WIKIPEDIA