28 avril 2022#45
Pourquoi le Covid n’a rien changé au tourisme de masse
Souvenez-vous ! La pandémie nous avait contraints à rester chez nous. Les avions étaient cloués au sol. Tout le monde pensait alors que cette catastrophe aurait au moins un effet positif : fini le tourisme de masse, et tant mieux pour l’environnement. Mais il semble, hélas, que ce rêve se dissipe. Et certains l’avaient déjà prévu…
Le rêve d’un tourisme nouveau
En 2019, l’Organisation mondiale du tourisme, une agence qui dépend de l’ONU, était aux anges. Les voyages internationaux avaient atteint le record de 1,4 milliard d’arrivées, un chiffre réalisé avec deux ans d’avance sur les prévisions. Les projections de l’agence prévoyaient une augmentation de 3 à 4 % dans les années suivantes.
Vous connaissez la suite. Tout d’un coup, le monde s’est arrêté, le ciel s’est vidé. Fin 2021, les arrivées de touristes internationaux étaient inférieures de 72 % aux niveaux pré-pandémie. Un milliard d’arrivées en moins en deux ans ! La pandémie a mis en péril quelque 120 millions d’emplois dans le secteur du tourisme.
Or cet effondrement est arrivé à un moment où le tourisme de masse était remis en cause par la génération climat, alors que pour un trajet en France ou en Europe, l’impact de l’avion sur l’environnement est environ de 200 fois supérieur à celui du train. En Suède et plus largement dans les pays scandinaves, puis dans le reste de l’Europe, on constate un phénomène nouveau, le fligskam, autrement dit la honte de prendre l’avion. Les médias en ont parlé en abondance. En France, on a commencé à prendre des mesures pour favoriser le train sur les trajets intérieurs.
Fin 2021, Les Échos citaient une enquête Ifop selon laquelle 55 % des sondés étaient « prêts à choisir leurs vols et destinations de voyage en fonction des émissions et impact carbone des avions ». Et un sondage Harris Interactive soulignait la tendance des nouvelles générations pour l’écotourisme. Les treks et autres randonnées de longue durée attireraient les deux tiers des jeunes, contre à peine 30 % des plus de cinquante ans.
Un voyagiste britannique spécialisé dans le haut de gamme a interrogé ses clients. 99 % d’entre eux affirment que « le voyage durable est important pour eux », contre 29 % en 2020. 90 % se disent « favorables à la réservation de vacances auprès d’une entreprise qui soutient le tourisme responsable. » Pour Lisa Fitzell, la directrice générale de cette société, « pendant la pandémie, nous avons vu le monde faire une pause et la nature commencer à revivre. Ce phénomène, conjugué à l’augmentation des passe-temps basés sur la nature au plus fort de l’enfermement, a eu un impact durable sur les perspectives des clients. » Admettons… mais regardons quand même de plus près.
De la honte au rebond
On dit parfois qu’un moment de honte est vite passé. En matière de transport aérien, c’est un peu ce que l’on constate. Prenez ce même voyagiste britannique de luxe. De son propre aveu, les destinations qui marchent restent les Caraïbes, l’Europe et l’océan Indien (14 %). Quant aux demandes de jets privés, on sait qu’elles ont bondi pendant la pandémie.
Prenons maintenant les chiffres globaux. L’Organisation mondiale du tourisme a comparé janvier 2021 à janvier 2022, juste avant la guerre en Ukraine. Verdict : « Toutes les régions ont bénéficié d’un rebond significatif. » Certes, les niveaux pré-pandémiques n’ont pas été retrouvés, loin s’en faut. Le Japon ou la Chine restent fermés, ce n’est pas rien. Mais en Amérique le trafic a doublé. Et en Europe il a carrément triplé.
Voyez les aéroports parisiens, principales portes d’entrée du tourisme international dans notre pays. Ce printemps, les atterrissages d’avions depuis l’étranger ont cru de près de 800 % comparé au printemps dernier. Après des années de vaches maigres, les professionnels du tourisme se frottent légitimement les mains. À ce rythme, dès 2024, le tourisme international aura retrouvé son niveau d’avant la pandémie.
C’était à prévoir
Est-ce une surprise ? Oui et non.
En juillet dernier, dans un entretien à La Croix, le géographe du tourisme Rémy Knafou se montrait raisonnablement optimiste. Certes, disait-il, « il est illusoire de penser que la pandémie mettra un terme aux flux touristiques internationaux. » Mais le choc du Covid « nous fournit l’occasion de ne pas repartir comme avant et de réinventer le tourisme dans un monde confronté au réchauffement climatique. Je fais confiance aux jeunes générations pour cela. Il leur faudra concilier leur désir de voyager avec ce nouvel impératif. » Quelques mois avant, en mai 2021, Rémy Knafou avait publié Réinventer le tourisme, aux Éditions du Faubourg.
Un rapport réalisé par un cabinet de consultants l’avait annoncé à peu près au même moment : « Des réglementations strictes et l’évolution du comportement des consommateurs entraîneront la baisse de la demande totale de mobilité, les voyages internationaux étant les plus touchés. » Et certes, on le comprend, les préoccupations environnementales auront un impact.
Mais en réalité, à l’échelle mondiale… cela ne changera pas grand-chose. Pourquoi ? Le rapport avance toute une série d’explications.
1. On observera « une réorientation partielle vers le tourisme national ou régional ». Autrement dit, on voyagera peut-être moins loin, mais pas moins souvent. Forcément, cela atténuera l’impact sur les voyages au long cours.
2. On pensera à l’environnement, oui… mais on ne renoncera pas pour autant aux déplacements privés, aux réunions de famille ou aux retrouvailles entre amis. Au contraire, après le Covid, chacun aura envie de retrouver les personnes que l’on n’aura pas vues depuis longtemps.
3. Selon le rapport « à court terme, tous les types de déplacements seront stimulés par la demande refoulée après l’effondrement du marché. » Là encore, il s’agit de rattraper le temps perdu. D’où une boulimie de déplacements.
4. De toutes façons, « les nouveaux modes de mobilité auront pas ou peu d’effets en raison de leur immaturité. » Autrement dit, les alternatives aux voyages polluants ne sont pas encore capables de prendre le relais. Donc le consommateur ne peut pas vraiment changer ses habitudes, où en tous cas il n’y est pas aidé, ni même incité.
Le journaliste Stuart Jeffries l’écrit dans The Guardian avec un humour noir très british : « Il est vrai que le tourisme durable est un phénomène en pleine expansion, mais on peut dire qu’il guérit la planète de la même manière que l’on met un sparadrap sur une blessure par balle. » Jeffries rappelle qu’en 2019, l’écotourisme représentait à peine plus de 2 % de l’ensemble du secteur.
La génération climat a encore du pain sur la planche… Signe des temps, le Fonds mondial des monuments, une ONG, vient de pointer 25 sites menacés par le surtourisme dans le monde.
Article publié dans le journal La Croix. (2021).
Article publié dans le journal The Guardian. (2022).
Article publié dans le quotidien Les Échos. (2021).